Chronique

Bill Carrothers

Love and Longing

Bill Carrothers (p, voc)

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

L’amour n’est pas simple, mais la nostalgie est structurée de façon encore plus compliquée. A bien y penser, elle frappe d’emblée de telle manière que le nostalgique souffre d’un passé qui n’a (peut-être) pas encore été, pire, qui ne sera sans doute jamais. C’est sans doute ce que voulait dire le plaisantin qui, à propos du jazz et du célèbre titre de Duke Ellington « Things Ain’t What They Used To Be » a déclaré : « Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient, pire, elles ne l’ont jamais été ». Enfin, on trouve des motifs de se désoler où l’on peut, et comme ça vient.

Bill Carrothers fait partie de ces artistes dont la musique (et il faut bien la distinguer de l’artiste lui-même, qui est peut-être un joyeux drille) porte manifestement une charge de douleur et de tristesse extrême. Dans l’univers du jazz, il me fait penser à Ran Blake : écoutez par exemple l’introduction de « A Cottage For Sale », et dites-moi si cela ne vous frappe pas. Un motif donc, pour moi, d’attachement tout à fait certain : j’aime les musiques douloureuses, voire un peu marquées d’angoisse (ici par exemple « Love - Peg », ce qui est un comble puisque Peg est sa femme…).

Au fond, le nostalgique dit : tout a déjà été consommé, vécu, oublié, c’est derrière nous, c’est mort. Voilà, le rapport du nostalgique à la mort est fondamental, il ne jouit que de ça, de la séparation, de la disparition, de l’effacement. « Love - Peg » en est l’exemple même : c’est une chanson d’amour adressée à sa femme, mais en même temps c’est un amour éloigné, perdu, impossible, un amour malheureux. Il n’en est ainsi que dans la musique, dans le poème. Dans la vie on n’en sait rien, et ce n’est pas notre affaire.

Love and Longing est construit ainsi, sur de courtes pièces de piano solo hors tempo et assez sombres, qui viennent s’intercaler entre des chansons populaires américaines, plus ou moins connues du public français et qui ont été chantées par Bing Crosby, ou Ella Fitzgerald, ou d’autres. Des valses qui ont comme thème récurrent la séparation, la guerre (Bill Carrothers est un spécialiste des guerres - Sécession, WW1, etc.), des airs qui ont marqué des générations de « boys » et de « girls », des chansons plus ou moins « country », qui flirtent parfois avec le blues, mais il faudrait beaucoup de place et de talent pour développer ce point… Bill Carrothers chante ces chansons d’une voix d’amateur mais avec une mise en place de musicien ; c’est donc très émouvant, très réussi pour qui veut bien se laisser prendre, pour qui a un rapport avec l’Amérique qui contient toutes ces contradictions.