Scènes

Le martyre des saphirs à Lyon

Premiers pas du festival Récif à Lyon avec le trio Yoshihide, Škrijelj, Malmendier.


Otomo Yoshihide © C. Charpenel

Le 26 mars, le tout nouveau festival « Récif » du Périscope proposait la soirée de musique improvisée à ne pas manquer cette saison à Lyon. Devant un public captivé et réactif d’une centaine de personnes, Lê Quan Ninh puis le trio Ōtomo Yoshihide, Émilie Škrijelj, Tom Malmendier ont, chacun à leur manière, érigé deux monumentales sculptures sonores.

Lê Quan Ninh © C. Charpenel

Avec Lê Quan Ninh, il est toujours stupéfiant d’entendre tout ce qu’il est possible de faire avec si peu. Une grosse caisse posée sur un stand sera l’unique objet de son attention. Pour la faire réagir, le percussionniste utilise baguettes, mailloches, cymbales, cloches, archet, doigts frappés, égrenés ou frottés, et même la délicatesse de son souffle. La grosse caisse, en être sensible, gronde, gémit, soupire ou siffle.
Lê Quan Ninh est un compositeur. Il construit son set de manière structurée et méthodique. Il choisit un stimulateur, en explore les possibles pendant une à trois minutes (il ne cherche pas, il y a bien longtemps qu’il a trouvé), transitionne pendant quelques secondes d’une main pendant que l’autre saisit le prochain outil et on recommence. On passe du tonitruant au quasi-imperceptible. Un moment de grâce et de poésie.
Le public est pris au cœur.

Ōtomo Yoshihide © C. Charpenel

La deuxième partie de soirée nous propose une toute autre manière d’envisager les choses. Une approche plus frontale, instantanée, instinctive et animale mais non moins passionnante.
Ōtomo Yoshihide est, ce soir, venu sans sa guitare. Devant lui deux platines, quelques vinyles, des mailloches, diverses baguettes, des cartes de crédit (ou de fidélité, on ne saura jamais), quatre pédales d’effets, une pédale de volume. La légende de l’improvisation japonaise est invitée par Émilie Škrijelj (une platine, une palanquée de vinyles et un Kaosspad) et Tom Malmendier (batterie).

Tom Malmendier et Émilie Skrijelj © C. Charpenel

Un trio, en théorie ça pourrait aussi, par moments, être trois solos ou trois duos. Pas ici. Tout le monde est là tout le temps dans l’urgence de l’instant présent. Tom Malmendier et Émilie Škrijelj génèrent en binôme de fortes vagues énergétiques, principalement dans le registre médium élargi, tandis qu’Ōtomo Yoshihide trouve sa place dans un jeu axé sur l’impact dans les graves et les aigus. Les deux platinistes se font face et se complètent. L’une danse presque, dessine les sons, fait corps avec des outils qu’elle commande avec efficacité. L’autre, au contraire, est dans une grande économie de gestes. Tout aussi précis mais avec la volonté de laisser plus de place au hasard dans ce qui découlera de ses actions.
La musique semble ne jamais être pensée au delà des quinze secondes qui vont suivre. Le bulldozer trace son chemin et pétarade des volutes de diesel.

Un moment de jubilation et de déchaînement. Le public est pris au corps.