Chronique

Vijay Iyer

Compassion

Vijay Iyer (p), Linda May Han Oh (b), Tyshawn Sorey (dms).

Label / Distribution : ECM

L’échange musical entre les trois fortes personnalités qui se déploient dans Compassion donne une idée précise de ce qu’est un immense travail commun. Écoute, relances rythmiques et beauté mélodique sont les ingrédients d’une réussite partagée entre le pianiste Vijay Iyer, la contrebassiste Linda May Han Oh et le batteur Tyshawn Sorey.

Tout autant que la compassion, cet album célèbre la communion, le lyrisme y vise des mondes célestes. Les thèmes qui se succèdent sont judicieusement agencés. « Compassion » arrive sur la pointe des pieds et annonce le voyage qui va suivre. Vijay Iyer écrit avec une inventivité qui le distingue entre les nombreux pianistes de sa génération. Il est vrai qu’après avoir obtenu rien de moins qu’une maîtrise de mathématiques et physique suivie d’un master en physique et d’un doctorat en technologie et arts, cet artiste raisonne et compose avec imagination et originalité. Son toucher allie une grande souplesse et sa main gauche assure une métronomie indiscutable, ses accélérations rythmiques redoutables et ses improvisations fluctuantes assurent une grande cohésion au sein du trio.

Signe des temps, cet album a été annoncé avec une formule choc qui insiste sur une reprise fulgurante du célèbre titre de Stevie Wonder « Overjoyed ». Vijay Iyer n’a aucunement besoin de ce slogan, le disque révèle rien de moins que neuf joyaux signés de sa plume, tous enchanteurs. De nombreux échos du trio Kühn, Humair, Jenny-Clark, qui reste une référence contemporaine dans ce format musical, se répercutent, en particulier dans « Arch » et « Tempest ». Cela démontre que les trios piano, contrebasse et batterie de haut vol visent souvent les mêmes structures élaborées, tant mélodiquement que rythmiquement et avec une approche atonale convergente. « Nonaah », écrit par Roscoe Mitchell, mérite une attention particulière, le trio s’y engage avec une éloquence furieusement libertaire, l’inventivité de Tyshawn Sorey est prodigieuse.

La facilité avec laquelle Linda May Han Oh survole les complexités harmoniques et les cellules rythmiques est mirifique, il suffit de se plonger dans « Panegyric » pour être envoûté. Tyshawn Sorey, quant à lui, déploie sa frappe dynamique avec aisance, il déborde d’idées élaborées avec un agencement architectural et se démontre toujours habile.

Partagé entre des chapitres méditatifs et de spectaculaires envolées exaltées, Compassion réalise un équilibre musical quasi télépathique. Vijay Iyer s’y révèle comme un compositeur audacieux.